et autres...
Les dispersées
Une transmission par les femmes (de gauche à droite) : Annik, Katina, Hosépoui, Takuk, Mathilde, Lucie, Rozet, Victoria, Marie, Aghavni.
Trois femmes chrétiennes en terre ottomane, épargnées par le génocide des Arméniens, "Restes de l'épée".
Katina, la grand-mère, est dame de compagnie auprès de riches Grecques et Arméniennes, leur faisant lecture de textes édifiants, brodant et cousant. Leur tenant conversation ; peut-être leur parle-t-elle alors d’une tradition familiale tenace : une partie de sa famille aurait migré aux Indes et y aurait fait fortune.
Annik, la tante, la honte de la famille : elle fait la danse du ventre avec les Turcs. Elle a même dansé dans Leblebici Horhor ağa ! Pourtant, avec l’argent qu’elle gagne, elle les fait vivre.
Hosépoui est la petite-fille de Katina, qui l’emmène parfois chez les Riches Dames pour qu’elle y puisse manger à sa faim. Par la suite, Hosépoui passe dix ans en orphelinat en Italie où elle devient Giuseppina. De son éventail, elle montre Constantinople, où elle est née en 1908, qu’elle a quitté en 1922 : elle est une apatride. Dix ans avec 403 autres orphelines arméniennes recueillies par le pape Pie X, à apprendre à coudre. A apprendre à croire, en Dieu et en Mussolini ; elle en garde une grande piété et des cartes postales du Duce qu'elle me confie en me priant d'en prendre grand soin. Camouflée dans la silhouette de Hosépoui, la carte de France. C’est là qu’elle arrive au début des années 1930. Elle est alors Joséphine et fabrique des culottes. C’est là qu’elle se marie, puis donne naissance à Anna, ma mère.
Toutes ces photos qu'elles ont laissées, dont sur certaines je ne sais même pas mettre un nom.
Et un verrou, pour fermer le chemin à ces souvenirs qui ne sont pas les miens mais m’encombrent néanmoins. Qui ne sont pas miens mais dont l’oubli serait insupportable.